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 Reality without you. ~ Zakhory V

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Mallory Edgerton
Ҩ LUX IN TENEBRIS
Mallory Edgerton
Ҩ LUX IN TENEBRIS

HOMINUM REVELIO ϟ
Statut du sang : Sang MêléMessages : 282Date d'inscription : 26/04/2015Localisation : Sofia
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Ҩ Reality without you. ~ Zakhory V Ҩ Mar 1 Mai 2018 - 22:06

Des ombres portées sur un mur clair, dans l’atmosphère épaisse d’un soir d’au-revoir.

On percevait à peine les échos de la ville, au-dehors ; le quartier, silencieux, était plongé dans la pénombre. De ces ténèbres salvateurs, deux silhouettes se découpaient sur les tracés hachés et noirs du mur à peine éclairé par la lueur faible de chandelles à demi consumées. C’était comme si la Terre avait cessé de tourner, comme si la longue marche du temps s’était brutalement stoppée ; comme tous ces soirs qu’ils avaient déjà vécus ensemble, depuis cinq années, cinq années durant lesquelles ils s’étaient efforcés de balayer les semaines, les mois de souffrance pour parvenir à retrouver la paix. Elle était là, au creux de leurs paumes, brûlante dans leurs iris ; la paix, c’était cela. Dissimuler aux yeux de tous ce qui les avait si profondément réunies, ces deux âmes qui s’écrasaient l’une contre l’autre comme si le lendemain allait les emporter à jamais. On entendait rien que le bruit rassurant d’une étreinte aux allures d’adieu, de soupirs échoués près d’une peau pâle. Dans le silence de la nuit, il n’y avait alors plus rien qui comptait davantage que cela, le froissement léger des draps, la lumière blafarde de la lune. Une complicité voilée qui durait depuis cinq ans, leur donnant la merveilleuse illusion que leur vie avait pris un bon tournant.

Le souffle court de Mallory Edgerton  se déposa sur les joues du jeune homme étendu contre lui. Frissonnant des derniers restes d’une fièvre au goût d’inachevé, il laissa un sourire éclairer ses lèvres, chassant de quelques doigts les mèches d’ébènes du sibérien, collées à ses tempes. Ses yeux sombres, incapables de se détacher de l’horizon de son visage, détaillèrent son expression aussi comblée qu’effarée quand il déposa doucement ses paumes dans son dos. Le silence revint les envelopper, comme une toile de soie chaude dans laquelle ils se laissèrent à l’illusion de vivre dans un monde parfait, sans taches. Quand ce dernier miroitait dans les yeux de Zakhar, il ne pouvait qu’y croire, après tout ; il aurait voulu n’être nulle part ailleurs, songea-t-il en laissant un sourire élargir ses lèvres sèches, quand ses paupières se refermèrent et que son front reposa lentement contre celui de Zakhar Silaëv. Après des années d’errance, le jeune homme avait enfin trouvé sa place ; elle était là, contre sa peau nue, loin de la guerre et de toutes ces choses qui désormait, ne les concernait plus. « Tu ne t’es tout de même pas imaginé que j’allais te laisser partir sans te donner une très bonne raison de vouloir revenir » murmura-t-il doucement, avant de se pencher pour déposer sur sa bouche un dernier baiser. Puis il se redressa, et roula lentement sur le côté. Ses yeux se posèrent dans les siens, brillants  dans la nuit d’un rire doux résonnant dans la pièce. Zakhar partait le lendemain, et il savait que ces jours d’absence seraient très lourds à supporter. La séparation était devenue un problème pour l’ex Eclair, qui portait encore la brûlure du bracelet à son poignet gauche.

Mais il reviendrait, cela ne faisait aucun doute ; il n’y avait plus personne pour les séparer, plus personne pour s’opposer à tout ça. Ils suivaient les règles, et ils les suivaient bien, sans réfléchir, sans songer à se rebeller. Elle était pas si mal, leur vie, songea Mallory en fermant les yeux, nouant la main du jeune chaman à la sienne. Elle était même beaucoup trop belle, pour qu’il accepte de s’en séparer ne serais-ce que quelques minutes. « La prochaine fois, je viendrais avec toi. » marmona-t-il enfin, la voix pâteuse, en sachant parfaitement que c’était impossible. Il s’en donnerait au moins l’illusion pour ce soir, lorsqu’il sombra dans le sommeil. Les étendues sibériennes lui seraient peut-être acceptées, un jour, lorsqu’il ne serait plus considéré comme un danger ou une menace. Ou une fiole de pouvoir vivante.

*

La sonnerie hurlante du réveil éclata dans la chambre aux volets fermés. L’objet magique, non content de brailler une chanson en slave dans son tympan droit, se leva et se mit à courir à travers la pièce sur un pas de danse à la limite du grossier. Grommelant de tout son saoul, Mallory se redressa, les cheveux en bataille, portant sa tête des mauvais jours quand il posa ses yeux noirs sur la place vide et froide à côté de lui. Chaque matin depuis son départ, il lui était difficile de s’extirper de son lit ; c’était la partie cachée de l’Iceberg, profondément cachée à Zakhar par un Mallory qui n’avait absolument aucune envie de l’inquiéter. Mais le jeune homme ne pouvait pas nier que son quotidien devenait fade et triste sans la présence permanente et rassurante du sibérien. Il perdait environ un à deux kilogrammes à chaque absence, et prétendait au retour du Silaëv que « son corps avait toujours déconné avec le poids. » Cette profonde dépendance provoquait son dépérissement à chaque fois ; heureusement, il revenait toujours et le quotidien reprenait son cours, doux, réconfortant.

Mais il ne rentrerait pas avant quelques jours, et Mallory le savait. Une main sur le front, il se leva, barrant la route à un réveil qui s’était mis à violemment l’insulter. Un cadeau de Zakhar, pour toutes les fois où Mallory avait été incapable de se lever en temps et en heure. ça avait au moins le mérite de marcher, songea le garçon en frappant l’objet du poing pour le faire taire. Il le reposa ensuite sur la table de nuit, et étira longuement son corps mince dans le silence. Le temps était gris à l’extérieur ; aussi gris que l’humeur du français, qui se dirigea à tâtons vers la petite cuisine. Dans le couloir, son pied buta contre une grosse boule de poils gris cendre, qui se mit à cracher en reculant violemment. « Oh p… bon sang mais tu peux pas dormir ailleurs que dans le passage, toi ?! » maugréa Mallory avant de retrouver son équilibre, les bras levés. Le chat, un imbécile de deux ans et demie nommé Casse-Croûte par son éternel absent, lui montra affectueusement son postérieur avant de le suivre dans la cuisine pour réclamer son petit déjeuner dans un miaulement atrocement éraillé.

La journée fila rapidement, jusqu’à la fin de l’après midi ; après un ménage minutieux de l’appartement, le jeune homme se mit au travail, reprenant soigneusement la confection de ses potions. Il n’était capable de travailler que dans un environnement briqué au milimètre ; une habitude qui lui donnait des sueurs froides, lorsque Zakhar laissait traîner ses affaires un peu partout. Sa seule consolation était sans doute celle-ci ; au moins jusqu’à son retour, le lieu serait impeccablement rangé pendant quelques jours. Il ne releva pas une minute le nez en direction de l’horloge de son bureau, concentré et appliqué, chassant à intervalles réguliers un chat menaçant de mettre ses poils dans son chaudron. Il travailla d’arrache-pieds jusqu’aux premières lueurs du soir ; les cadences qu’on lui imposait lui demandaient par moments beaucoup d’efforts. On avait embauché le jeune homme pour fabriquer des potions à domicile, qu’il devait ensuite envoyer à l’adresse d’une boutique au coeur de Sofia. Parfois, il s’y rendait en personne, mais il n’aimait toujours pas l’extérieur ; il était bien mieux là, enfermé entre ses quatre murs sans avoir à supporter un patron grincheux ou un collègue stupide. Le seul problème à ce système, c’était qu’il était payé à la bouteille.

Le jeune homme les compta soigneusement à la fin de la journée, avant de les glisser dans un paquet qu’il accrocha à la patte d’une chouette hulotte. L’animal le gratifia d’un coup de bec sur la main, avant de s’envoler à tire d’aile. Lorsque ce fut fait, Mallory ferma la fenêtre, et poussa un long soupir. Le soir tombait sur la ville, et il risquait d’être en retard.

Rapidement, il sortit d’un double fond de son bureau une petite boite en bois, qu’il ouvrit. A l’intérieur, une seringue brillant d’une étrange lueur bleutée, quelques fioles de la même couleur. Il s’installa sur le canapé, déposant la boite et son contenu sur la table basse ; concentré, le garçon noua un garrot de caoutchouc autour de son bras, et saisit la seringue. Être payé à la fiole, on ne pouvait pas dire que ça rapportait beaucoup. Des dettes avaient commencé à s’accumuler au fil des mois, et l’esprit logique et consciencieux de Mallory n’était pas parvenu à trouver d’autre solution. Il n’était pas encore assez bon pour vendre le fruit de son travail suffisamment cher pour rembourser l’achat de ses ingrédients et payer les dépenses quotidiennes. Lorsque les prêteurs étaient devenus un peu trop insistants, il avait fallu agir vite. Avec une grimace, Mallory enfonça l’aiguille dans son bras droit, et laissa le sang s’écouler dans le réceptacle. La meilleure potion qu’il puisse jamais avoir, c’était celle-ci. Et celle-ci aussi était payée à la fiole.

Il en récolta sept, ce jour-là, jusqu’à arriver à sa limite. Le teint pâle, les membres tremblants et faibles, il les rangea dans une sacoche qu’il passa autour de ses épaules. A tâtons, il chercha les clés de l’appartement, et le quitta en quelques pas ; par chance, l’homme qui récupérait son dû n’était pas très loin.
Quatre pâtés de maison plus tard, il aperçut la haute silhouette d’un sorcier en noir, montant la garde aux limites du quartier des sangs-noirs. Le pas silencieux, il s’avança à sa hauteur, et sans un mot, lui tendit son bien. Cela faisait trois mois que Mallory donnait son sang à l’un des gardes de son quartier, en échange d’argent qu’il devinait parfaitement sale. Aucun d’eux ne posaient de question, leurs échanges étaient rapides ; le sorcier ouvrait la sacoche, en tirait un nombre de fioles, et lui tendait de l’argent en échange. Et Mallory, qui était parvenu à vaincre l’emprise de l’Ox sur son esprit, qui avait survécu à la dégénérescence de son propre corps, s’affaiblissait de nouveau. Mais cette fois, la raison était différente.

Sans un mot, l’homme tira les sept fioles de la sacoche. Il les observa un moment, avant de les ranger dans ce qu’il devinait être des poches ensorcelées dans sa robe. De l’autre, il tira une bourse qu’il lui tendit. « La prochaine dans quinze jours. » Silencieux, Mallory hocha la tête. Trois mois qu’il distribuait son sang malade ; trois mois qu’il poussait son corps à se régénérer plus vite, allégeant à chaque récolte sa durée de vie.
Il fit demi tour, nauséeux, pour s’enfoncer de nouveau dans son quartier, silencieux à cette heure. Les règles instaurées étaient strictes, et la plupart des gens qui avaient choisi cette vie les suivaient à la lettre. Les autres, ils n’étaient pas là ; ceux qui avaient refusé l’aide de la Bugarie couraient dans la nature, encore, incapables de trouver la paix. Un violent mal de tête lui fit plaquer une main contre son front, à l’entrée de l’immeuble ; gémissant légèrement, il dut faire plusieurs pauses dans les étages avant d’atteindre sa porte. Tout avait un prix, et celui de cette liberté factice était vraiment très cher.

Epuisé, Mallory s’effondra sur le canapé, pris de vertiges. Il aurait dû manger quelque chose, il le savait ; mais son esprit trop faible était incapable de lutter contre l’épuisement pour y remédier. Cela arrivait à chaque fois, alors il ne s’inquiétait plus ; son regard se porta sur le matériel encore disposé sur la table basse. Il aurait le temps de ranger ça plus tard. Il sentit à peine Casse-Croûte s’étendre sur son ventre, quand il perdit connaissance. Il rangerait tout ça plus tard. Quand Zakhar rentrerait, il serait rétabli, et il ne se rendrait compte de rien.

Après tout, il avait tout soigneusement calculé.
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Reality without you. ~ Zakhory V

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